François, la guerre et les Lieux Saints

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Le Synode qui s’est ouvert au Vatican, le 4 octobre dernier, suscitait de grandes attentes. Mais, trois jours après le début des travaux, le 7 octobre, l’attention internationale s’est reportée sur le Moyen-Orient, inopinément ensanglanté par l’attaque brutale du Hamas contre Israël. Après l’invasion russe de l’Ukraine en février 2022, cet événement constitue un nouveau facteur d’ébranlement du fragile équilibre mondial et confirme l’existence d’une guerre menée contre l’Occident. L’épicentre en est aujourd’hui la Palestine, la terre où le Rédempteur vécut et versa son sang.

Le pape François est intervenu à plusieurs reprises pour déplorer la guerre, demander la libération des otages et conjurer l’escalade du conflit. Mais est-ce bien là tout ce que l’on était en droit d’attendre du Vicaire du Christ ?

François aurait eu là une occasion extraordinaire de faire entendre, aux puissants de la terre, sa voix, jointe à celle des Pères synodaux réunis à Rome. Quelle meilleure occasion de rappeler solennellement que la cause de la guerre, comme de tous les maux, se trouve dans l’accumulation des péchés publics des hommes ; que les guerres actuelles sont le châtiment d’un monde qui s’est éloigné de Dieu et que l’unique moyen d’obtenir la paix est le respect de la loi naturelle et la conversion à l’Evangile ? Mais le Vicaire du Christ devrait rappeler aussi que la Palestine est la terre sanctifiée par la vie et la mort du Sauveur et demander la tutelle sur Jérusalem et sur ces Lieux Saints qui, avec Rome, représentent le cœur du monde.

L’Église a toujours revendiqué le droit de propriété ou de tutelle de ses Lieux Saints, objets de vénération et buts de pèlerinage depuis l’antiquité chrétienne. Le culte des sanctuaires chrétiens de Palestine commence avec Constantin : après le Concile de Nicée (325 ap. J.-C.), celui-ci donna l’ordre à quelques évêques présents au Concile de se rendre à Jérusalem pour y identifier les lieux de la Passion et de la Résurrection du Christ et y construire des églises. Sa mère, sainte Hélène, s’associa à eux dans la recherche des précieuse reliques. Ainsi furent érigées cinq basiliques : la première sur le Saint Sépulcre ; une deuxième à Bethléem, sur la Grotte de la Nativité ; une troisième sur le Mont des Oliviers, où eut lieu l’Ascension du Seigneur ; une quatrième au jardin de Gethsémani et une dernière à Nazareth. Nous devons à saint Jérôme et aux nobles dames romaines de son entourage installées à Bethléem vers la fin du IVe siècle, les premiers hospices et lieux d’hébergement pour les pèlerins. Un flux de pèlerinages commençait ainsi, que devait interrompre la domination musulmane sur la Palestine maintenue, avec des vicissitudes, jusqu’en 1917.

La conquête de Jérusalem par les Turcs seldjoukides en 1071 marqua le début d’une période de persécutions contre les chrétiens qui suscita l’indignation dans la chrétienté. C’est alors que naquit le grand mouvement des croisades, dont l’objectif était la libération du Saint-Sépulcre. Après la fin de cette épopée, les religieux franciscains assurèrent la défense et le culte des sanctuaires chrétiens, conservés au cours des siècles en dépit d’innombrables vicissitudes. La mission des Frères mineurs en Terre Sainte fut régularisée d’un côté par les deux bulles Gratias agimus et Nuper carissimae de Clément VI (1342) et, de l’autre, par le pacte entre le roi de Naples et le sultan d’Egypte Qalāwūn. Trois siècles durant, les droits des catholiques furent confirmés et élargis par tous les sultans d’Egypte, attachés aux relations commerciales avec l’Europe, jusqu’à l’occupation de la Palestine par les Turcs Ottomans, qui reprirent les persécutions. Ce fut à cette époque que les moines grecs orthodoxes s’installèrent à Jérusalem. Leur installation marqua le début d’une longue et âpre querelle entre le clergé catholique et les orientaux schismatiques, aggravée dans les siècles suivants par les prétentions de la Russie, qui alléguait les droits de protection de la religion orthodoxe dans tout le Levant.

En 1847, le pape Pie IX, avec le bref Nulla celebrior restaura le patriarcat latin de Jérusalem, vacant depuis l’époque des croisades. Le 11 décembre 1917, alors que l’Empire Ottoman se désagrégeait, le général anglais Edmund Allenby libéra Jérusalem de la domination pluriséculaire de l’Islam. Par respect pour la cité sainte, Allenby et ses officiers descendirent de cheval et entrèrent à pied par la porte de Jaffa, accompagnés des représentants militaires d’Italie, de France et d’Angleterre. La chrétienté exultait, mais l’espoir d’une libération totale de la Terre Sainte fut bien vite déçu.

Au cours des années où naissait l’État d’Israël et où, en Palestine, la guerre éclatait entre Juifs et Arabes, le pape Pie XII consacra trois encycliques aux Lieux Saints : Auspicia quaedam du 1er mai 1948, In multiplicibus du 24 octobre 1948 et Redemptoris nostri du 15 avril 1949.

Dans la première encyclique, le pape rappelait qu’un sujet particulier lui affligeait et tourmentait le cœur : « Nous voulons parler des Lieux Saints de Palestine qui depuis longtemps déjà sont troublés par de douloureux événements et qui sont presque chaque jour ravagés par de nouveaux meurtres et de nouvelles ruines. Pourtant, s’il y a une région au monde qui doive être particulièrement chère à toute âme noble et civilisée, c’est certainement la Palestine, d’où est sortie, depuis les obscurs commencements de l’histoire, tant de lumière de vérité pour toutes les nations ; là le Verbe de Dieu incarné, a fait annoncer, par les chœurs des Anges, la paix à tous les hommes de bonne volonté ; là enfin Jésus-Christ, suspendu à l’arbre de la Croix, a apporté le salut à tout le genre humain et, les bras étendus comme pour inviter tous les peuples à une étreinte fraternelle, a consacré par l’effusion de son sang le grand commandement de la charité ».

Dans la deuxième encyclique (In multiplicibus), il affirmait « l’opportunité de donner à Jérusalem et à ses environs, où se trouvent tant de précieux souvenirs de la vie et de la mort du Sauveur, un caractère international qui, dans les circonstances présentes, semble mieux garantir la protection des sanctuaires. Il importera même d’assurer, par des garanties internationales, aussi bien le libre accès aux Lieux Saints, disséminés sur le territoire de la Palestine, que la liberté du culte et le respect des coutumes et des traditions religieuses ».

Dans la troisième encyclique, Pie XII renouvelait son invitation aux « chefs de gouvernements et à tous ceux à qui il revient de régler une si importante affaire, à donner à Jérusalem et à ses environs un statut juridique approprié dont, seules, l’entente commune des nations amies de la paix et respectueuses des droits d’autrui peuvent, dans les circonstances actuelles, assurer et garantir la stabilité. Mais il est, en outre, nécessaire de pourvoir à la tutelle de tous les Lieux Saints, qui se trouvent non seulement à Jérusalem et ses environs, mais encore dans les autres villes et villages de la Palestine. Suite aux événements de la récente guerre, un grand nombre d’entre eux ont été exposés à de grands dangers et ont subi de graves dommages. Il faut donc que ces Lieux, qui gardent de si grands et vénérables souvenirs, sources et aliments de la piété pour tout chrétien, soient protégés par un statut juridique convenable, garanti par une forme d’accord ou d’engagement international ».

Les plans de protection internationale de Jérusalem et des Lieux Saints n’ont jamais été mis en œuvre et le flux des pèlerins s’est poursuivi dans un contexte de conflit latent. Aujourd’hui, la guerre fait rage sur la terre où naquit et mourut Celui que les prophètes avaient annoncé comme « le Prince de la paix » (Is 9, 6) et le conflit menace de s’étendre à l’Orient et à l’Occident.

Mais si le Christ n’est pas annoncé par celui qui devrait le représenter et appeler l’humanité à la conversion, comment s’étonner que le monde risque une guerre plus terrible que toutes celles qui l’ont précédée ?