Il est rare aujourd’hui de rencontrer des princes authentiquement catholiques et lorsque l’un d’eux disparaît, il est de notre devoir d’honorer sa mémoire. J’ai eu la chance de connaître personnellement Dom Luiz d’Orléans-Bragance, le chef de la Maison Impériale brésilienne qui est décédé le 15 juillet dernier à l’âge de 84 ans, et il m’est cher de rendre hommage à sa figure, à un moment où nous avons grand besoin d’hommes qui incarnent des principes. Dom Luiz était l’un d’entre eux : il incarnait dans ses paroles, dans ses actions, mais surtout dans sa façon d’être, le principe monarchique de la société.
Aujourd’hui, la société s’effiloche également parce que le principe d’autorité et de hiérarchie sur lequel le christianisme a été fondé a été remplacé par celui de l’anarchie et du chaos. Et c’est la raison qui avait poussé le professeur Plinio Corrêa de Oliveira à publier en 1993 le livre Noblesse et élites traditionnelles, analogue dans les discours de Pie XII au patriciat et à la noblesse romaine, avec une préface du prince Luiz d’Orléans-Bragance. L’idée de base était de montrer le rôle indispensable de la noblesse et, plus généralement, des authentiques élites morales, culturelles et sociales dans la crise de notre époque.
Je crois que l’Italie est le pays où cet appel avait résonné le plus profondément. En 1993, une conférence internationale inspirée par le livre du penseur brésilien s’était tenue dans le palais historique de la princesse Elvina Pallavicini (1914-2004). En 1997, la princesse et le marquis Luigi Coda Nunziante (1930-2015), dans une nouvelle réunion au Palazzo Pallavicini, avaient fondé l’association Noblesse et Tradition, pour opposer la tradition monarchique et aristocratique de l’Europe chrétienne au processus révolutionnaire. Dans un discours très engagé, le Prince Dom Luiz d’Orléans-Bragance souligna la mission de la noblesse dans la phase de désintégration sociale que connaît la société contemporaine.
Dom Luiz était né le 6 juin 1938 à Mandelieu-la-Napoule, dans le sud de la France, le premier des douze enfants du prince Pedro Henrique d’Orléans-Bragance (1909-1981), chef de la Maison impériale, et de son épouse, la princesse Maria de Bavière. En 1945, la famille avait été autorisée à rentrer au Brésil après l’exil et le prince Pedro Henrique, qui connaissait le professeur Plinio Corrêa de Oliveira depuis son enfance, avait été heureux de lui confier l’éducation de ses fils Luiz et Bertrand, qui avaient exprimé leur enthousiasme pour la Contre-Révolution catholique. Dans les veines des deux jeunes coulait le plus noble sang européen, à travers les Orléans-Bragance, empereurs du Brésil jusqu’au coup d’État républicain de 1889, et les Wittelsbach, rois de Bavière jusqu’en 1918. La figure qui leur semblait la plus proche était cependant leur grand-mère, la princesse Maria Pia Bourbon des Deux Siciles (1870-1973), qui leur avait transmis un amour ardent pour le mouvement légitimiste et ultramontain.
Dom Luiz et Dom Bertrand avaient rejoint le TFP, fondé en 1960 par le professeur Plinio Corrêa de Oliveira et, à ses côtés, ont milité dans une longue bataille pour la défense de la civilisation chrétienne et de l’Église catholique. Des deux frères, Dom Luiz avait une vocation plus contemplative et un tempérament plus réservé, ce qui ne l’empêcha pas de ne jamais se dérober à tout engagement. C’est pourquoi, bien qu’il avait atteint la soixantaine et que sa santé était altérée par une poliomyélite juvénile, il avait accepté avec enthousiasme l’invitation du marquis Coda Nunziante à devenir membre fondateur de Noblesse et Tradition, créé pour défendre les valeurs traditionnelles de la noblesse dans le domaine culturel et social. Dom Luiz participa à la fondation de l’association et aux trois conférences internationales qui suivirent à Rome (2000), Lisbonne (2002) et Turin (2004), avec la participation de membres éminents de la noblesse européenne. C’est donc tout naturellement qu’à la mort de la princesse Pallavicini en 2004, Dom Luiz lui avait succédé à la présidence de Noblesse et Tradition.
Le 29 avril 2004, Dom Luiz présida dans le hall du Palais Coburg à Vienne, à la présentation de l’édition allemande de mon livre Le croisé du XXème siècle. Plinio Corrêa de Oliveira. Trois ans auparavant, le 10 octobre 2001, il avait participé à Rome à la commémoration du 430e anniversaire de la bataille de Lépante. L’événement, promu par le Centro Cuturale Lepanto, avait eu lieu dans les salles du Palazzo della Cancelleria, en présence de plus de cinq cents personnes. Le Prince impérial était assis au premier rang, à côté des cardinaux Alfons Maria Stickler, Paul Augustin Mayer, Lorenzo Antonetti et Luigi Poggi, des représentants de l’Ordre de Malte et de l’Ordre Constantinien de Saint-Georges, et des descendants des plus illustres familles européennes dont les ancêtres avaient combattu dans les eaux de Lépante.
Il ne s’agissait pas de manifestations mondaines, que Dom Luiz a toujours évitées, mais d’engagements lourds, auxquels il s’est toujours soumis pour être fidèle à son devoir d’état. De son regard brillaient deux vertus éminentes: la pureté et l’intransigeance. Ces vertus font que Dom Luiz et Dom Bertrand ne sont pas appréciés dans les milieux de la haute société. Les nobles qui se camouflaient pour entrer dans les professions lucratives et à la mode ne supportaient pas les deux princes brésiliens, car ils ne s’accommodaient pas de l’esprit de sensualité et de compromis de la “jet set”. Pour les nobles mondains, le prince modèle était le roi Juan Carlos d’Espagne, l’homme – disait-on – qui avait réussi à combiner le service de son pays avec ses propres plaisirs et intérêts. On n’a pas compris, et on ne comprend toujours pas, que plus on occupe une position sociale élevée, plus les devoirs que l’on est obligé de remplir sont importants. Pourtant, un souverain non catholique, comme la reine Elizabeth II d’Angleterre, a offert, en soixante ans de règne, un exemple de ce qu’une nation peut produire d’idéalement élevé.
Dom Luiz voulait être et était un prince catholique. Il était tertiaire carmélite et consacré à Marie selon la pratique de saint Louis-Marie Grignion de Monfort, mais il a surtout donné l’exemple d’un esprit catholique fervent. Il a suivi avec peine le processus d’autodémolition de l’Église et n’a pas manqué d’exprimer son désaccord respectueux avec certaines positions de la hiérarchie catholique. Ainsi, le 27 septembre 2016, il a été parmi les premiers signataires d’une Déclaration présentée à l’initiative de l’Association Supplica filiale par un groupe de 80 personnalités catholiques, dont des cardinaux, des évêques et d’éminents universitaires, qui ont réaffirmé leur fidélité aux enseignements immuables de l’Église sur la famille et le mariage.
Lors de la conférence de Noblesse et Tradition qui s’était tenue à Turin le 30 octobre 2004, Dom Luiz avait conclu son discours par ces mots : «Dans un avenir que nous espérons proche, notre regard se tournera vers ces années d’apostasie, d’effusion de sang et de chaos, laissées à jamais derrière nous. Nous pouvons en être certains, car nous nous basons sur les promesses de Notre Dame de Fatima. À ce moment heureux, sur le visage de l’Église et de la société restaurée, brilleront comme le soleil ceux qui, issus de la noblesse ou d’élites traditionnelles similaires, se seront dressés contre les convulsions et les crises modernes, en s’y opposant et en suivant fidèlement les conseils et les enseignements immortels du grand Pontife Pie XII».
À Vienne, le 29 avril de la même année, il avait déclaré : «Je me souviens très bien de la dernière réunion publique tenue par le professeur Plinio Corrêa de Oliveira deux mois avant sa mort. Il nous a rappelé d’avoir confiance en Notre Dame, en disant : “Plus nous nous sentons perdus, plus nous devons avoir confiance en Notre Dame, car elle a promis qu’elle triompherait. La confiance ! La confiance ! La confiance ! Même si cela prend cinq, dix, quinze, cinquante ans, nous devons avoir confiance qu’un jour viendra le triomphe du Cœur Immaculé de Marie”».
Dom Luiz d’Orléans-Bragance n’a pas pu voir ce jour béni, mais il laisse l’exemple d’un parfait prince catholique devant lequel nous nous inclinons avec révérence.