L’aurore boréale et les illusions de l’Occident

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Le Wall Street Journal du 1er novembre a publié un article intéressant du professeur Jakub Grygiel, professeur d’études politiques à l’Université catholique d’Amérique. L’article, intitulé Three Foreign-Policy Illusions, montre qu’à l’origine des erreurs commises par l’Occident face à la guerre russe en Ukraine, à l’agression du Hamas et de l’Iran contre Israël, et aux menaces de la Chine dans la zone Pacifique, il y a trois illusions, profondément enracinées dans la mentalité américaine et européenne.

La première illusion est que les dirigeants sont responsables des guerres et que ces pays sont nos rivaux uniquement à cause de leurs mauvais dirigeants. M. Grygiel cite l’exemple du secrétaire d’État Antony Blinken qui, parlant de l’invasion de l’Ukraine devant le Conseil de sécurité des Nations unies en septembre 2022, a déclaré : «Un homme a choisi cette guerre. Et un seul homme peut y mettre fin». «Mais la guerre n’est pas seulement celle de Vladimir Poutine ; c’est la guerre de la Russie. Dans un sondage réalisé en juin 2022, 75 % des Russes soutiennent fortement ou majoritairement les actions des forces militaires russes. (…) L’Église orthodoxe russe est un instigateur de la guerre et a formé une profonde culture du nationalisme russe et de la loi impériale qui s’étend au-delà du Kremlin. L’hostilité de la Russie, de l’Iran, de la Chine et même du Hamas peut avoir des racines culturelles profondes et un soutien populaire qui permettent à ces acteurs de s’engager dans des conflits longs et dévastateurs. L’élimination d’un mauvais dirigeant ou d’un mauvais régime ne transforme pas nécessairement un ennemi en un acteur responsable».

La deuxième illusion cultivée par l’Occident est que les organisations internationales et la gouvernance mondiale peuvent surmonter les différends politiques nationaux et régionaux. «Puisque ces institutions sont les sources de l’ordre international – explique M. Grygiel – pour de nombreux hommes politiques occidentaux, l’objectif premier de leur diplomatie est d’amener davantage d’États, démocratiques ou non, sous leur parapluie pacificateur. Le président Franklin D. Roosevelt espérait que l’Union soviétique se comporterait mieux une fois qu’elle aurait rejoint les Nations unies et il était prêt à reporter des négociations difficiles avec Moscou pour l’amener à adhérer à l’ONU. Les dirigeants occidentaux espéraient que la Chine, une fois membre d’institutions telles que l’Organisation mondiale du commerce, deviendrait un acteur responsable de l’ordre mondial. Mais comme la Russie, membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies, la Chine n’est pas devenue un acteur géopolitique anodin après avoir participé à l’OMC pendant plus de vingt ans. Le pouvoir formateur des institutions internationales a été largement exagéré et la grande stratégie qui en découle a laissé l’Occident mal préparé à la rude concurrence, y compris la guerre, à laquelle nous sommes confrontés».

La troisième illusion de l’Occident est que plus de commerce et de richesse produiront la paix. «Pendant des décennies, la politique étrangère allemande a suivi le principe du “changement par le commerce”. Berlin pensait que le commerce avec la Russie, la Chine et d’autres mauvais acteurs atténuerait leur hostilité et les transformerait en partenaires fiables. Les États-Unis pensaient que le commerce avec la Chine modifierait progressivement les priorités de Pékin, créant une classe moyenne éprise de paix et des liens diplomatiques plus étroits. Le pari occidental selon lequel l’expansion du commerce permettrait de surmonter les différences idéologiques et les rivalités politiques s’est avéré erroné. Les États s’engagent dans le commerce pour devenir riches et compétitifs, et non pour la paix. Ils veulent souvent être riches pour pouvoir attaquer leurs ennemis et dominer les autres. (…) C’est la puissance militaire, et non l’interdépendance, qui donne aux États la capacité d’agir au mieux de leurs intérêts sans subir les contraintes imposées par d’autres puissances. Nos rivaux se sont armés tandis que l’Occident, en particulier l’Europe, espérait que le commerce rendrait les capacités militaires inutiles. Des inimitiés profondément ancrées ne peuvent être surmontées par des changements de dirigeants, d’organisations internationales ou de commerce. Elles ne peuvent être contrôlées, et si nécessaire vaincues, que par la puissance militaire».

A l’analyse fine du professeur Grygiel s’ajoute une quatrième illusion de l’Occident : le rejet par de nombreux intellectuels et responsables politiques de toute idée de “choc des civilisations”. Samuel P. Huntington (1927-2008), qui a lancé cette thèse dans son Clash of Civilizations, publié en 1993, n’a jamais été un “suprématiste”, mais pourrait plutôt être qualifié de relativiste historique. Cependant, on ne peut nier que sa théorie, trente ans plus tard, a été confirmée par les faits. En effet, la “guerre des civilisations” contre l’Occident est proclamée par Poutine, Xi Jinping et de nombreux représentants du monde islamique, divisés à l’intérieur, mais unis dans la lutte contre l’ennemi commun.

Le sophisme dont l’Occident est victime est l’idée qu’admettre l’existence d’un choc des civilisations revient à le souhaiter ou à le provoquer. La thèse selon laquelle il ne faut pas parler de guerre des civilisations, parce que parler de guerre des civilisations, c’est évoquer la possibilité d’une guerre mondiale, et qu’une guerre mondiale a pour conclusion logique une guerre nucléaire, est l’outil de propagande utilisé par ceux qui veulent nous désarmer. Lorsque ceux qui sont attaqués renoncent à se défendre contre les menaces de ceux qui les attaquent, ils ont déjà perdu la guerre. Ceux qui refusent le suicide politique et moral de l’Occident se rendent complices de ce suicide s’ils pensent qu’en se taisant, ils peuvent éviter l’affrontement que l’ennemi annonce. Ceux qui nient l’existence d’une guerre de civilisations, nient non seulement l’existence d’un ennemi, mais l’identité même de la communauté de destin à laquelle ils appartiennent. Les conservateurs et traditionalistes qui sympathisent avec la Russie ou les Frères musulmans et sont prêts à justifier l’invasion de Taïwan pour éviter une “guerre globale” sont les “frères ennemis” de cette même “cancel culture” qui constitue l’expression la plus radicale de la gauche post-moderne.

La cancel culture a malheureusement pénétré au sein de l’Église catholique, où les plus hauts représentants, à commencer par le pape François, se contentent de déplorer la guerre, sans réaliser que la paix à laquelle ils aspirent n’est pas la tranquillité augustinienne de l’ordre, mais l’instabilité chronique du désordre. Pourtant, tout est joué. Yunis Al-Astal, prédicateur et député du Hamas au Conseil législatif palestinien, dans un sermon du vendredi, s’adresse ainsi aux fidèles musulmans: «Très bientôt, par la volonté d’Allah, Rome sera conquise, comme Constantinople l’a été et comme l’a prophétisé notre prophète Mahomet». «Aujourd’hui – a-t-il ajouté – Rome est la capitale des catholiques, ou la capitale des croisés qui ont déclaré leur hostilité à l’islam. Cette capitale sera un avant-poste des conquêtes islamiques qui s’étendront à toute l’Europe, puis aux deux Amériques et à l’Europe de l’Est» (Hamas MP and Cleric Yunis Al-Astal in a Friday Sermon: We Will Conquer Rome, and from There Continue to Conquer the Two Americas and Eastern Europe).

Un objectif impossible à atteindre?  Mais que se passerait-il si la Russie l’emportait en Ukraine, si le Hamas, soutenu par l’Islam, détruisait Israël, si la Chine envahissait Taïwan? Ce serait une défaite qui confirmerait la thèse de ceux qui pensent que l’Occident vit non pas son crépuscule, comme l’annonçait Oswald Spengler il y a cent ans, mais son agonie, plongé dans de profondes ténèbres.

Mais l’histoire n’est jamais irréversible, surtout lorsque Dieu décide d’intervenir. Le 5 novembre, une aurore boréale inattendue a illuminé le ciel de l’Europe et de l’Italie, où elle a été observée des Alpes aux Pouilles. Les astronomes ont donné des explications scientifiques à ce phénomène optique, mais ceux qui ont l’esprit surnaturel regardent le ciel d’un air pensif et se demandent si cet événement n’est pas lié aux aurores boréales de 1938 et 1939 qui, selon sœur Lucie de Fatima, annonçaient la Seconde guerre mondiale. Un signe apocalyptique? Une aurore boréale peut aussi être un signe lumineux d’espérance, nous invitant à juger les choses de la terre avec les yeux du Ciel et nous rappelant que toutes les causes et tous les effets de ce qui se passe dans le monde ont leur premier commencement et leur dernière fin en Dieu, le seul qui puisse donner la paix sur terre aux hommes de bonne volonté qui ne cherchent que sa gloire.