Le « synodalisme », aboutissement du pontificat du pape François

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Après dix ans de pontificat, le point d’aboutissement du règne du pape François semble bien être le synode des évêques d’octobre 2023, lequel aura pour thème : Pour une Eglise synodale : communion, participation et mission. Pour comprendre la confusion sémantique d’un synode sur la synodalité, il faut avant tout bien distinguer les deux termes : le synode est un événement historique précis, alors que la synodalité est « un « chemin » un « processus » qui, dans l’horizon idéologique du pape François, correspond au primat de la praxis sur la doctrine.

Le mot synode, dérivé du grec σύνοδος, équivalent du latin concilium, signifie en fait « assemblée » ou « réunion » et appartient à la Tradition de l’Eglise. « Synodalité », par contre, est un néologisme aux contours imprécis, susceptible d’interprétations et de lectures multiples. Aux origine de ce terme, il y a celui de « collégialité », introduit dans le langage théologique par le Père Yves-Marie Congar, comme l’équivalent du concept de sobornost’, forgé par les théologiens orthodoxes russes du  XIX è siècle (Le peuple fidèle et la fonction prophétique de l’Eglise , in Irenikon, n. 24 (1951), pp. 440-466).  En slave, sobor signifie assemblée ou conseil. Et sobornost traduit la réalité d’une église universelle fondée sur des synodes, ou des conciles, présidés non par une autorité commune mais par le Saint-Esprit. Congar fit du concept de sobornost la pierre angulaire d’une réforme de l’Eglise qui visait, comme son adversaire direct, le primat romain défendu par l’école théologique « ultramontaine ».

Dans les années du Concile Vatican II, le dogme de la primauté romaine constituait la pierre d’achoppement principale du dialogue œcuménique. Dès lors, pour favoriser ce dialogue, il importait de mettre en lumière la dimension « collégiale » du gouvernement de l’Eglise. Cela permettait une convergence avec la pratique synodale del’église orthodoxe et de l’église protestante. De plus, au sein de la théologie progressiste, resurgissaient les courants du conciliarisme du XV siècle, du fébronianisme du XVIII et de l’ anti-infaillibilisme du XIX qui tous avaient cherché à limiter, en des temps et selon des modes différents, l’autorité et l’influence de la papauté. Il y avait enfin une raison de caractère plus politique. Dans les milieux progressistes, le modèle de l’Eglise comme « monarchie absolue » semblait jurer avec la processus de « modernisation » de la société. La collégialité, ou synodalité, exprimait les exigences « démocratiques » de la société moderne.

Le mot d’ordre était : libérer l’Eglise du carcan juridique qui l’étouffe et transformer sa structure pyramidale en structure démocratique et égalitaire. « Pendant mille ans chez nous, on a tout vu et construit dans l’optique dela papauté, pas dans l’optique de l’épiscopat et de sa collégialité. Il faut aujourd’hui faire cette histoire, cette théologie, ce droit canon » écrivait Congar le 25 septembre 1964. Il considérait sa lutte contre la « pauvre ecclésiologie ultramontaine » comme une véritable « mission » (Diario del Concilio, San Paolo, Cinisello Balsamo (Mi) 2005, vol. II, pp. 136,20) (trad. française : Mon journal du concile, Cerf, Paris 2002).

En 1972, le jésuite allemand Karl Rahner consacrait à son tour un essai explosif au Changement structurel de l’Eglise comme tâche et comme chance (tr. it. Queriniana, Brescia, 1975). Il affirmait que l’Eglise du futur devait être « décléricalisée » , « ouverte », « œcuménique et pluraliste », « démocratique dans son gouvernement » et « critique envers la société ». Dans cette ligne se situe le théologien dominicain Jean-Marie Tillard (Eglise d’églises. L’ecclésiologie decommunion, Cerf, Paris, 1987) disciple de Congar, quioppose la synodalité des églises locales au pouvoir vertical de l’Eglise centrale, tandis que le jésuite John O’Malley cherche à démolir les origines « ultramontaines » de l’Eglise antérieure à Vatican II (Vatican I: The Council and the Making of the Ultramontane Church, Harvard University Press, Cambridge (MA) 2018).

La catégorie de « synodalité » n’est donc pas née avec le pape François mais elle est devenue avec lui un paradigme officiel qui correspond au concept d’une « église en sortie » « aux portes ouvertes » (Encyclique Evangelii gaudium du 24 novembre 2013, n. 46). A l’image de « l’église pyramidale », François a substitué celle de « l’église polyédrique ».« Pensons au polyèdre ; le polyèdre est une unité, mais avec toutes les parties différentes ; chacune a sa particularité, son charisme. Telle est l’unité dans la diversité. C ‘est sur cette route que nous, chrétiens, faisons ce que nous appelons du nom théologique d’œcuménisme : nous essayons de faire en sorte que cette diversité soit plus harmonisée par l’Esprit-Saint et devienne unité »( Discours du pape François, Eglise pentecôtiste dela Réconciliation, Caserte, 28 juillet 2014).

Dès 2015, lors du cinquantième anniversaire de l’institution du Synode des évêques, le pape François affirmait que « le chemin de la synodalité » est « la dimension constitutive de l’Eglise »( Discours du 17 octobre 2015), mais sans préciser en quoi consiste cette dimension. La voie, pourtant, avait été ouverte et la Conférence épiscopale allemande a décidé de s’y engager : le 1er décembre 2019 , dans une Lettre aux fidèles signée par le cardinal Reinhard Marx et par le Président du Comité central des catholiques allemands (ZDK), Thomas Sternberg, elle annonçait qu’elle s’était convoquée elle-même pour prendre la  tête d’un « chemin synodal » avec l’objectif d’étendre à l’Eglise universelle les décisions « contraignantes » de son« synode permanent ». Une étude récente de Diego Benedetto Panetto montre bien comment, derrière le chemin synodal allemand, se cache un projet de réforme de l’Eglise universelle destiné à « démocratiser » l’Eglise et à redéfinir la papauté.(Il cammino sinodale tedesco e il progetto di una nuova chiesa, Tradizione Famiglia Proprietà, Rome 2020). L’ultime étape de ce processus s’est déroulée le 11mars dernier à Francfort où un tonnerre d’applaudissements a accueilli la demande  d’étendre à l’Eglise universelle l’abolition du célibat, le diaconat sacramentel des femmes, la communion aux divorcés et la bénédiction des couples homosexuels.

Peut-être « l’église synodale » du pape François n’est-elle pas tout à fait celle que souhaitent les évêques allemands mais il est certain, néanmoins, qu’elle  accueille leurs exigences et que son modèle est à des années-lumière du modèle traditionnel.  La « dimension synodale de l’Eglise » est, de plus, à l’évidence, une utopie ;  elle partage la puissance dévastatrice de toutes les utopies,  en étant dépourvue  de toute  capacité à construire. Tenter de réaliser ce rêve monstrueux requiert l’exercice d’un pouvoir autoritaire et tyrannique. L’église synodale est donc une église égalitaire et acéphale qui se réalise en fait à travers la dictature de la synodalité. Il serait catastrophique de vouloir combattre les abus de pouvoir auxquels nous sommes confrontés par la négation ou la limitation du principe d’autorité. C’est là une tâche que peuvent accomplir, en restant cohérents avec leurs principes, les catholiques libéraux, gallicans ou modernistes ; certainement pas ceux qui se revendiquent de la Tradition de l’Eglise.

La doctrine catholique affirme que le pouvoir de juridiction revient, iure divino, au pape et aux évêques. La plénitude du pouvoir de juridiction appartient toutefois seulement au pape sur qui est fondé tout l’édifice de l’Eglise. Le pontife romain est l’autorité souveraine de toute l’Eglise, et en vertu de son primat de gouvernement universel, il en reste le législateur suprême. Cette doctrine déjà exposée au Concile de Florence en 1439 et dans la Professio Fidei tridentine fut définie solennellement, au Premier Concile du Vatican, par la constitution dogmatique Pastor Aeternus (18 juillet 1870) qui réaffirme le primat non seulement d’honneur mais de véritable juridiction du pontife romain sur l’Eglise universelle et son infaillibilité sous des conditions bien précises. Ce sont ces dogmes, providentiellement promulgués par le bienheureux Pie IX, que les catholiques doivent utiliser comme levier contre le synodalisme. C’est là, en vérité, l’unique route qui permettra à l’Eglise, toujours vivante et indéfectible, de renaître dans toute sa splendeur et toute sa puissance.